LES ENSEIGNES DE PELERINAGES

legio VI Victrix Philippe FERRANDO

Les enseignes de pèlerinages étaient des signes distinctifs (petites plaques) que les pèlerins achetaient dans les différents sanctuaires afin de les afficher (généralement ils les cousaient sur leurs vêtements), signes qu'ils s'étaient rendus au lieu de la dévotion. Ces enseignes en plomb se généralisèrent en occident surtout à partir du XIIIème s. Leur diffusion est liée à un phénomène religieux  : augmentation du nombre des cultes liés à des saints et accroissement du nombre des pèlerinages. C’est un souvenir typiquement médiéval qui a connu un vif succès durant près de 400 ans.

Philippe FERRANDO



TROIS ENSEIGNES DE PÉLERINAGES INÉDITES POUR

SAINTE-CROIX DE MONTMAJOUR

 

Introduction


En 1992, Dominique Carru et Sylvain Gagnière présentaient un article dans "Mémoire de l'Académie de Vaucluse" sur les découvertes récentes, dans la cité avignonnaise, d'ampoules et d’enseignes de pèlerinage [1]. Parmi ces trouvailles, l'une mérite une attention plus particulière puisqu'elle concerne la ville d'Arles et plus particulièrement l'abbaye de Montmajour.  

Il s'agit d'une rare petite croix de plomb sur laquelle figure le Christ couronné et vêtu d'une longue tunique. Tout autour, on peut lire une légende en latin :

 


SIGNVM S(AN)C(T)E CRVCIS DE MONTE MAIORE

(Signe de Sainte-Croix de Montmajour)

 

Fig. 1 : Enseigne de Sainte-Croix trouvée à Avignon

Cette croix présente, aux angles de chaque branche, deux petits anneaux qui permettaient de coudre l'objet sur un vêtement ou de le clouer sur une planche en bois.


 

Les découvertes récentes

 

Il y a peu de temps, trois autres types d’enseignes complètes ainsi qu'une dizaine de fragments ont été trouvés dans des remblais, au Castelet, site localisé à quelques centaines de mètres au nord-est de l’abbaye de Montmajour.

Si trois fragments d’enseignes appartiennent bien à l’enseigne 1 découverte à Avignon, les autres sont bien différentes. Inédites, elles méritent d’être décrites.


LE CATALOGUE


Enseigne 1 :


 Il s’agit de trois fragments de croix en plomb provenant du même moule que la croix trouvée à Avignon. Nous avons affaire à trois branches appartenant à trois enseignes différentes. L’une des branches présente la tête du Christ, l’autre le bras gauche et la troisième le bas de la tunique et les pieds. La légende commence en haut à droite, juste après une petite croix placée au-dessus de la tête du Christ :


.SIG/NUM S(AN)C(T)E CR/VCISDEMO//RE

Fig. 2 : Trois fragments de l'enseigne de Sainte-Croix 1

Enseigne 2 :

 

 Obtenu par moulage, cette enseigne en plomb se présente également sous la forme d’une croix. Elle est plus petite que celle découverte à Avignon (43 cm de hauteur pour 43 cm de largeur) et l’épaisseur est de l’ordre d’un millimètre. Cette enseigne est représentée par une croix complète et par un fragment présentant la branche du haut et celle de gauche. L’inscription, en relief, se lit aussi dans le sens des aiguilles d’une montre :


SIGNVM( )CE CRVCIE MAIORE


Curieusement, la légende commence à l’intersection de deux branches de la croix, à gauche de la tête du Christ, ce qui rend, à la base, sa lecture difficile. La légende diffère légèrement par rapport à l’enseigne d’Avignon, à savoir que la lettre de CRVCIS est remplacée par la lettre retournée. Cette particularité se retrouve également pour l’enseigne présentée ci-après (enseigne 3). Toute la bordure de l’objet est constituée de lignes de grènetis.


Fig. 3 : Enseigne de Sainte-Croix trouvée au Castelet. Avers et revers de l'enseigne 2.

La représentation  du Christ est assez grossière et bien différente de la croix trouvée à Avignon : le torse est  nu et habillé seulement d'un drapé sur le bas du corps. La couronne, signe de souveraineté, est ici remplacée par l'auréole. Le Christ figuré vivant, les yeux bien ouverts, sur la croix découverte à Avignon, est représenté ici mort, la tête tombante.

De plus, cette pièce est intéressante car les anneaux situés aux extrémités de chaque branche n’ont pas encore percés. Ceci est un élément important qui démontre que l’objet n’est pas fini et surtout qu’il n’a pas encore été vendu aux pèlerins.

Nous pouvons dater cette croix en plomb avec précision de la fin du XIIIe s., voire le début du XIVe s. Cela est confirmé par la forme des lettres, mais aussi par la présence, dans les remblais où elle a été trouvée, de fragments de céramiques contemporaines de cette époque.


fig. 4 : Fragment de l'enseigne 2.

 

Enseigne 3 :

Cette enseigne de pèlerinage en plomb est aussi dédiée à la Croix. Trois branches appartenant à la même croix ont été trouvées séparément puis recollées. La quatrième, la branche de gauche, concerne le même type de croix, mais provient sûrement d’un autre exemplaire. Deux autres petits fragments appartenant à deux autres croix ont également été découverts. La taille de l’enseigne est légèrement supérieure à celle de l’enseigne 2 : 4,5 cm de hauteur pour 4,5 cm de largeur. L’épaisseur est également de l’ordre d’un millimètre.

La légende en latin est présentée sur tout le pourtour de la croix :


 (  )IGNVM S(AN)C(T)E CRVCIE MAIORE 


Fig. 5 : Enseigne de Sainte-Croix 3

Contrairement à l’enseigne 2, les anneaux d’attache situés aux extrémités des branches ont été perforés. Les deux attaches de la branche supérieure manquent. L’image iconographique du Christ est identique à celle de l’enseigne 2, à part qu’ici l’ensemble du corps est représenté de face. De plus, l’emplacement de chaque lettre de la légende est la même. Ces deux enseignes sont d’époque contemporaine et ont été vraisemblablement fabriquées par le même artisan.


Fig. 6 : Fragment de l'enseigne 3.

 

Enseigne 4 :

 

Cette enseigne de pèlerinage présente aussi un grand intérêt car elle est très différente des autres notamment par sa forme. Nous n’avons plus affaire à une enseigne en forme de croix mais à une petite plaque rectangulaire où l’on a reproduit le Christ sur la Croix. De plus, cet objet n’est pas en plomb mais en étain. Il semble avoir été frappé, comme le sont les pièces de monnaie, et non pas coulé. Cela est confirmé par le revers de l’enseigne qui présente, sur toute sa longueur, une ligne verticale en relief. Cette ligne permettait l’ajustage de l’objet au moment de la frappe.

Fig. 7 : Enseigne de Sainte-Croix 4

 Dans les angles, les anneaux sont tous manquants. Seul le départ d’une attache est visible en haut à gauche. Le Christ domine au milieu de l’enseigne. Ses traits sont grossiers : le nez, les yeux et le ventre sont assez volumineux. La tête est largement disproportionnée par rapport au reste du corps et entourée d’une large auréole. Juste au-dessus, sur la croix, nous pouvons apercevoir trois petits traits qui pourraient évoquer, de manière grossière, les lettres INRI (Ihesus Nazarenus Rex Iudeorum). Le christ n’est vêtu que d’un drap au niveau de la taille.

 De chaque côté, deux personnages auréolés et debout (peut-être deux pèlerins ou la Vierge et saint Jean) saluent la Croix. L’individu de droite tient un coffre dans sa main gauche. Le tout est placé sur une série de cinq voûtes. En haut, nous trouvons le soleil et le croissant de lune.

Cette enseigne de pèlerinage ne présente aucune inscription, ce qui rend difficile, à première vue, son appartenance au pèlerinage de Sainte-Croix. Mais la scène présentée et surtout sa découverte avec d’autres enseignes à la Croix rendent logique son appartenance à ce pèlerinage. D’ailleurs, un des sceaux du chapitre de Montmajour ressemble fortement à cette enseigne (Fig. 8).

 

Chapitre de Montmajour - Sainte Croix - Arles Fig. 8 : Dessin de l'un des sceaux du Chapitre de Montmajour - XIIIe-XIVe s. (Médiathèque d'Arles, manuscrit 590)

 

Le site :

 

Habité dès le Néolithique, le site du Castelet devient un petit oppidum gaulois dès le premier âge du Fer. Il est très peu fréquenté pendant la période gallo-romaine et est abandonné, semble-t-il, pendant la période mérovingienne puis carolingienne. Il faut attendre le tout début du deuxième millénaire pour y voir la présence d’un nouveau petit village lié à l’histoire de l’abbaye de Montmajour. Ce petit château a alors la particularité de posséder ses propres structures défensives (remparts, tours...) mais aussi une chapelle appelée Sainte-Croix du Castelet. La colline, entièrement protégée par des falaises et par un épais rempart était la résidence des abbés. Mais c’était aussi l’emplacement idéal pour l’artisanat, qu’il était bien difficile d’intégrer dans l’enceinte même de l’abbaye pour des raisons pratiques. Cela est confirmée par la découverte de quelques enseignes appartenant aux différents pélerinages liés à l'Abbaye.

Il est vraisemblable que la fabreication des enseignes apportait de nombreux revenus aux moines, surtout lors des pèlerinages importants de la région. Au XIIIe s., période qui nous intéresse plus particulièrement pour l'étude des enseignes, l'Abbé y avait sa demeure. Cela est confirmé par un acte de 1226 écrit sur place et précisant les termes "in domo abbatis". 

 

La destruction du Castelet par Turenne (Grandes campagnies), en 1386, entraîne l'abandon provisoire du site.


Le Castelet à Fontvieille Fig. 9 : Vue aérienne de la partie orientale du Castelet, à Fontvieille (photo : Ph. FERRANDO).

 

Le pélerinage de Sainte-Croix :

 

Ces enseignes représentent l'emblème de la Croix que vénèrent au Moyen-Age les pèlerins qui se rendent au "Pardon" de Montmajour.

Ce pèlerinage, très célèbre, faisait affluer les foules pieuses le jour de l'invention de la Sainte-Croix, c’est-à-dire le 3 mai. Il est institué à l'occasion de la consécration, en l'an 1030, par l'archevêque d'Arles, Pons de Marignane, de la crypte de l'église abbatiale de Notre-Dame dédiée à la Sainte-Croix.

Par manque de place à l'intérieur même de l'abbaye, une chapelle de plan cruciforme voit le jour à quelques dizaines de mètres à l'ouest de l'enceinte, au milieu du cimetière.

Ces dévotions étaient favorisées par le clergé qui y trouvait un profit non négligeable.


Chapelle Ste-Croix de Montamajour Fig. 10 : Chapelle Sainte-Croix de Montmajour
Chapelle Sainte-Croix du Castelet - Fontvieille -Montmajour Fig. 11 : Abside de la chapelle Sainte-Croix du Castelet

[1] Carru (D.), Gagnière (S.) - Notes sur quelques objets de dévotion populaire, ampoules et enseignes de pèlerinage au Moyen-Age tardif provenant d’Avignon. Mémoire de l’académie du Vaucluse, 8esérie, t. 1, 1992, p. 55 à 92.

LA DEVOTION A SAINT ANTOINE ABBE A TRAVERS DES ENSEIGNES DE PELERINAGES RECEMMENT DECOUVERTES

Par Michel BAUDAT

St Antoine Montmajour Arles Enseigne de St-Antoine de Montmajour

 

Nous avons évoqué à plusieurs reprises la vénération de saint Antoine abbé à Arles et l'antagonisme qui exista entre l'abbaye de Montmajour et celle de Saint-Antoine en Isère[1]. Le problème majeur consistait dans le manque de preuves attestant la présence des reliques du saint ermite à Arles antérieures au texte de la translation de 1491. La découverte d'enseignes de pèlerinages à proximité de Montmajour apporte, aujourd'hui, un nouvel élément attestant d'une vénération à saint Antoine abbé à Montmajour antérieure à cette date.

 

 

1. Les enseignes de pèlerinage à saint Antoine :

1.1. Le Castelet, lieu de fabrication de ces enseignes :

       Les enseignes de pèlerinages étaient des signes distinctifs (petites plaques) que les pèlerins achetaient dans les différents sanctuaires afin de les afficher (cousaient sur leurs vêtements), signes qu'ils s'étaient rendus au lieu de la dévotion. De plus, ces enseignes en plomb se généralisèrent en occident à partir du XIIIème s. pour des raisons techniques (qualités plastiques de ce métal, faible température de fusion, commodités de son façonnage,...) ; leur diffusion étant liée, quant à elle, à un phénomène religieux (expansion du culte des saints, pèlerinages).

La découverte d'un grand nombre de ces enseignes témoignant de pèlerinages locaux (Sainte-Croix, Saint-Antoine, Saintes-Maries, Saint-Pierre) laisse supposer la présence d'un atelier de fabrication à proximité de Montmajour, au Castelet. Cet emplacement était privilégié pour l'artisanat qu'il était difficile d'intégrer dans l'enceinte de l'abbaye ; comme cela a été avancé à propos de la découverte des enseignes de pèlerinages à Sainte-Croix de Montmajour[2]. Malheureusement, dans l'état des recherches, aucun moule n'a été découvert sur place.

 

1.2. Datation :

Nous venons de voir que ces enseignes s'étaient généralisées en occident au XIIIème siècle. La découverte de nombreux spécimens et la localisation d'un atelier de fabrication au Castellet nous permet, en outre, d'apporter une date ante quem. En effet, ce site a été abandonné en 1386, suite aux destructions de Turenne et aux incursions des Grandes Compagnies [3]. Ainsi, si nous pouvons, sans grands risques, avancer que cette frappe locale eut lieue entre le XIIIème et la fin du XIVème s., il est plus malaisé d'avancer une datation précise. Plusieurs éléments permettent néanmoins d'affiner cette dernière.

Les représentations de saint Antoine ne nous renseignent guère. En effet, le saint est figuré imberbe, loin des représentations (scènes de tentation, conversation avec saint Paul,...) et des attributs (flammes du feu de saint Antoine, cochon clariné, tau à clochettes) que nous connaissons habituellement. Ces derniers ne se fixant qu'à partir du XVème s.[4], cela ne nous permet pas d'affiner notre datation ; tout au plus nous pouvons différencier les six premières enseignes [5] de la septième qui, en présentant un personnage barbu, est postérieure, mais s'agit-il bien de saint Antoine ?

Nous pouvons ensuite remarquer une grande différence dans la coiffe du saint : les trois premières enseignes présentant ce qui s'apparenterait à une calotte (ou à une mitre basse), alors que les deux enseignes suivantes (n°4 et 5) montrent le saint coiffé d'une mitre haute. Cette dernière, remplaçant la mitre conique basse antérieurement en usage, ne s'est généralisée qu'à partir du début du XIIIème s. Nous en restons donc dans la fourchette de date précédemment énoncée. Par contre, les enseignes 6 et 7, en montrant le saint nimbé, semblent plus tardives.

Une datation plus précise nous est donnée par les personnages latéraux. En effet, la disposition de ces derniers, entourant le saint et le suppliant, n'est pas commune pour des enseignes de pèlerinages. Les trois premières enseignes montrent des personnages assis sur des tabourets tripodes dans une attitude symétrique, levant les bras vers le saint. Les enseignes 4 à 6 présentent une différence importante : le personnage à la droite du saint est debout, tenant un bâton qui s'apparente à un tau ; celui à la gauche du saint est agenouillé. Or, on retrouve une disposition similaire sur un sceau d'Aymon de Montagne [6], émis à Saint-Antoine en Isère en 1293 (fig. n°1). Cette attitude étant assez rare, on peut se poser la question d'une éventuelle influence ; mais dans quel sens s'est-elle faite ? Quoi qu'il en soit, cela nous permet d'avancer comme datation la fin du XIIIème s., voire le début du XIVème s., ce que semble confirmer la calligraphie.

Les trois premières enseignes paraissent donc les plus anciennes, antérieures à 1293, alors que les trois suivantes sont vraisemblablement postérieures à cette date. L'enseigne n°7, en présentant des caractéristiques totalement différentes est la plus tardive (XVème s. ?). Nous verrons plus loin la place de ces enseignes et l'importance de cette datation dans l'histoire des reliques arlésiennes.

      

1.3. Rayonnement de ces enseignes :

       Le rayonnement du pèlerinage arlésien à saint Antoine est difficile à appréhender. Les quelques traces que l'on conserve sont tardives (XVème-XVIème s.) [7], donc postérieures au transfert des reliques dans Arles.

       Les découvertes d'enseignes ou d'ampoules de pèlerinages montrent un rayonnement essentiellement local[8]. On ne trouve pas trace d'enseignes, ni même d'ampoules de pèlerinages[9] frappées à l'abbaye de Saint-Antoine en Isère. Aucune n'a été jusqu'alors retrouvée sur place, et aucun texte ne vient étayer qu'une éventuelle fabrication y ait été réalisée.

Le lieu du sanctuaire n'étant précisé, ni sur les enseignes découvertes à Avignon, ni sur celles découvertes à Arles, son identification reste incertaine. La suggestion suivant laquelle les enseignes découvertes à Avignon étaient des frappes locales ne repose que sur la toponymie de lieux proches des découvertes (hôpital ou chapelle dédiés à saint Antoine)[10]. Le rapprochement des modèles iconographiques laisserait supposer, quand à lui, que les enseignes d'Avignon pourraient provenir (ou imiter celles) de la fabrique du Castelet. Toutefois, il ne s'agit là que d'une simple supposition qu'il convient de tempérer par l'usage des copies ou des diffusions de modèles. En l'absence de découverte de moules, il est donc très difficile d'être catégorique.

 

 

2. Les autres représentations de saint Antoine frappées à Montmajour :

       Nous n'avons pas, dans l'état de la recherche, trouvée de trace écrite relative à la fabrication de ces enseignes de plomb à Montmajour. Les plus anciens registres notariés d'Arles ne remontent pas à une époque antérieure à  1317[11], et rien n'atteste de leur fabrication dans les archives de l'abbaye. Les seules sources relatives à la fabrication d'effigies du saint à Montmajour font référence à des médailles et à des statuettes.

 

2.1. Les médailles :

       Une médaille, relative au culte de saint Antoine à Arles, est signalée à la fin du XIXème siècle par l'abbé Paul Guillaume [12] (fig. n°2). Elle était alors dans une collection privée, Les textes ultérieurs ne feront que la reprendre[13].

       Elle est décrite comme étant en plomb, très mince, et d'un diamètre de 30 mm. La gravure nous montre le saint représenté debout et de face, ce qui permet d'apprécier sa physionomie. Il se présente comme un personnage âgé, barbu, revêtu de la bure et ayant la tête nimbée, ce qui se rapproche de l'enseigne n°7. Il tient dans sa main droite un bâton en forme de tau, son symbole, ainsi qu'une couronne ou un chapelet ; de la gauche, il présente un livre ouvert qu'il tend au spectateur. En arrière plan, sur la gauche du personnage (arrière plan, droit de la médaille), on observe une petite chapelle surmontée d'une croix. Au-dessus de la tête du Saint apparaissent deux trous qui devaient servir à  suspendre cette médaille, ou à l'accrocher à des vêtements. A. Gauthier-Descottes[14] suggère qu'elle "a dû suivant l'usage de ce temps être cousue sur un chapeau ou une étoffe quelconque". Rejeté à la périphérie de cette scène se trouve la sentence suivante : SAN-ANTONI-D ARLES-LEB... L'abbé Paul Guillaume suggère de compléter l'inscription par LEB(lanc), surnom qui fut souvent attribué à Arles ; notons que cette restitution s'inscrit parfaitement dans le vide laissée par la cassure.

       Cette médaille en plomb, la seule dont on ait une trace, n'était pas unique et d'autres médailles (en or et en argent) avaient été réalisées. C'est du moins ce qui transparaît du  protocole de Philippe Mandoni en date du 19 février 1490. Les moines de Montmajour autorisent alors Antoine Fet, orfèvre d'Arles, à fabriquer des médailles de saint Antoine en or et en argent, pendant un an, à partir du premier mars, moyennant la somme de 12 florins par an[15].

 

2.2. Des statuettes :

D'autres représentations de saint Antoine ont été frappées avec l'accord des moines de Montmajour. On trouve ainsi, dans un recueil de l'abbé Bonnemant, à la date du 15 avril 1359 une convention entre le sacristain de Montmajour et le statuaire plâtrier (gipperius) Jean de Squira, au sujet des statuettes à faire du saint et de leurs moules[16]. Malheureusement, aucune de ces statuettes de dévotion ne nous est parvenue.

 

 

3. Place et importance de ces enseignes dans l'histoire de la vénération à saint Antoine :

3.1. Les reliques de saint Antoine et les sources historiques :

Le problème majeur posé par la thèse arlésienne, soutenant que les bénédictins avaient emporté les reliques de saint Antoine en 1290, lors de leur expulsion de l'abbaye de Saint-Antoine et Isère, pour les apporter à Montmajour, est lié au manque de trace historique. En effet, si ces reliques sont clairement mentionnées à partir de leur transfert solennel de Montmajour à Arles, le 8 janvier 1491 [17], les sources témoignant de leur présence antérieure à Montmajour font défaut. Seuls trois éléments permettent de combler ce "vide" entre 1290 et 1491 ; ils furent employés par le prieur Jean Bérard, dans son argumentation de défense des Bénédictins devant l'archevêque de Narbonne le 14 février 1496[18] :

- Le premier est un passage attribué à Saint-Vincent Ferrier († 1419) qui stipulait que les reliques de Saint-Antoine étaient conservées dans une abbaye voisine d'Arles et entourée de marais; ce qui désignerait évidemment Montmajour : "quod Sancti Antonii corpus celatur in quadam abbatia prope Arelatem in Provincia Provinciae quae circumdata et palubidus"[19]. Bien que Dom Chantelou donne comme référence les 2ème et 3ème livres de Saint-Vincent, et n'ayant pu le vérifier, nous prendrons ce passage avec prudence.

- Un passage des "Chroniques de Saint-Antonin" († 1459), plus explicite encore, stipule que de son temps ces vénérables ossements étaient à l'abbaye de Montmajour, et le bras seulement au pays Viennois: "Nunc certo corpus est in abbatia Montis Majoris, prope Arelatem, in provincia Provinciae, et brachium apud Viennenses, ubi nunc fit concursus populorum"[20] .

- Le troisième témoignage émane du "Panormitain"[21]; s'il ne désigne pas l'abbaye arlésienne comme lieu de conservation des reliques, il précise toutefois que ces dernières ne sont pas aux mains des Antonins qui quêtent avec de fausses reliques de Saint-Antoine: "Et certe textus hic hoc clare innuit, contra clerios qui causa quaestus decipiunt populum, fingendo reliquias ubi non sunt, et maxime in hoc erant isti quaesturaii Sancti Antonii et aliorum."

 

    De plus, une fête de la translation de ces reliques paraît avoir eu lieu à Montmajour le troisième jour des Ides de Juin (le 11), mais il semble qu'il faille prendre cette information avec prudence, car si elle figure bien dans un bréviaire imprimé de Montmajour en 1514 [22], les preuves manquent pour la faire remonter à une date antérieure à 1491.

    Une autre mention, semblant remonter à 1413 existe [23] mais nous nous garderons de toute interprétation hâtive.

 

3.2. L'apport de ces enseignes de pèlerinages :

       Nous avons vu que l'on pouvait dater les enseignes de pèlerinage de saint Antoine, frappées à Montmajour, de la fin du XIIIème siècle. Elles seraient donc contemporaines de l'expulsion des bénédictins de Montmajour de l'abbaye de Saint-Antoine en Isère, et correspondent donc au début de la querelle qui opposa les deux abbayes.

       La découverte de ces enseignes de pèlerinage, et surtout leur datation, permet donc de mettre en évidence la présence d'une dévotion particulière à saint Antoine abbé à Montmajour entre la fin du XIIIème et le début du XIVème siècle. Ce qui coïnciderait, si ce n'est avec l'apport des reliques de saint Antoine à Montmajour, du moins avec l'expulsion des bénédictins arlésiens et leur retour dans leur abbaye mère. Cette date coïncidant avec la bulle du 10 juin 1297 marquant la désunion des deux abbaye[24], nous sommes là à l'origine de cet antagonisme.

La présence de ces enseignes de pèlerinages et leur fabrication locale, contribuent à apporter un élément de plus et une confirmation de la présence des reliques de saint Antoine abbé à Montmajour, rendant caduque l'hypothèse suivant laquelle ces reliques ne seraient apparues officiellement à Arles qu'en réponse à la bulle d'Innocent III du 4 juin 1490 qui plaçait l'abbaye d'Arles sous la dépendance de l'abbaye antonienne [25].

 

 

Conclusion :

       Les enseignes de pèlerinages à saint Antoine, ainsi que les autres enseignes découvertes près de Montmajour, au Castellet, laissent supposer de l'implantation d'un atelier de frappe. Ces enseignes font toutes référence à des pèlerinages locaux (sainte Croix et saint Pierre à Montmajour, saintes Maries).

La découverte d'enseignes de pèlerinages à saint Antoine abbé atteste la présence d'une dévotion particulière à ce saint à Montmajour. Or, la datation de ces enseignes permet de situer chronologiquement cette dévotion à la fin du XIIIème s., ce qui coïnciderait avec l'arrivée des reliques du saint ermite à l'abbaye bénédictine.

       Ces enseignes, en attestant du déroulement de pèlerinages à saint Antoine à l'abbaye bénédictine d'Arles, dès la scission avec l'abbaye antonienne, jettent donc un nouveau jour sur cette "affaire" ; comblant ainsi le vide qui existait dans les sources écrites entre 1290 (date de l'expulsion des bénédictins de Saint-Antoine) et 1491 (date de la translation des reliques de saint Antoine de Montmajour à Saint-Julien d'Arles). En effet, si jusqu'à présent seuls quelques éléments (textes mal datés ou prêtant à suspicion) suggéraient la présence de ces reliques à Montmajour, la découverte de ces différentes enseignes apporte, quant à elle, une preuve archéologique et historique.



[1] M. Baudat, De la Thébaïde à Montmajour, les reliques de Saint-Antoine abbé, Arles, 1994, 80p.; "Les reliques de Saint-Antoine à Arles, une vénération municipale arlésienne?", dans L'abbaye Saint-Pierre de Montmajour, Arles, 1999, p. 74-91.

[2] Ferrando (Ph.), "Quatre enseignes de pèlerinage inédites pour Sainte-Croix de Montmajour", dans Bull. des Amis du Vieil Arles, n°110, Mars 2001, p. 12-13.

[3] Ferrando (Ph.), op. cit., p. 13.

[4] Réau (L.), Iconographie de l'art chrétien, Paris, 1959, t.III, vol.1, p.

[5] Les références des figures renvoient au texte de Ph. Ferrando publié dans ce présent bulletin.

[6] Premier abbé de Saint-Antoine (1297-1316) ; voir sur l'histoire de l'ordre des Antonins : Mischlewski (A.), Un ordre hospitalier au moyen âge. Les chanoines réguliers de Saint-Antoine-en-Viennois, Grenoble, 1995.

[7] Baudat (M.), De la Thébaïde à Montmajour, les reliques de saint Antoine abbé, Arles, 1992, p. 27-28.

[8] Carru (D.), Gagnière (S.), "Notes sur quelques objets de dévotion populaire. Ampoules et enseignes de pèlerinage du Moyen Age tardif provenant d'Avignon", dans Mémoire de l'Académie de Vaucluse, t. I, 1992, p. 64, fig. 2.

[9] Cela est d'autant plus curieux qu'était réalisé sur place le saint vinage : un breuvage à base de vin que l'on faisait couler sur les reliques de saint Antoine afin de le charger de vertus miraculeuses et qui était réputé guérir le mal des ardents.

[10] Carru (D.), Gagnière (S.), "Notes sur quelques objets de dévotion populaire. Ampoules et enseignes de pèlerinage du Moyen Age tardif provenant d'Avignon", dans Mémoire de l'Académie de Vaucluse, t. I, 1992, p. 74.

[11] AD13, 404 E 1.

[12] Guillaume (abbé P.), Le mystère de Sant-Antoni de Viennes, Gap-Paris, 1884, p. 205 à 208.

[13] Carrières (M.), "Saint-Antoine d'Arles, un oublié", dans BSAVA, n°49, juin 1983.

[14] Gautier-Descottes (A.), "Petites notes pour servir à l'histoire d'Arles", dans Le Musée, 4ème série, n°15, 1878, p. 120.

[15] Véran (P.), Recherches pour servir à l'histoire de l'église d'Arles, Ms-792, BMA, p. 317.

[16] Bonnemant (chanoine L.), Mons major, seu historiae monasterii Sancti Petri Montis Majoris supplementum, Ms-163, BMA, p. 81-82 (copie d'après le protocole de Guillaume Portalis, not. d'Arles, années 1358-59, f°2.)

[17] Bibl. Nat., Fonds Français, Chroniques de Bertran Boysset, Ms-5728, f° 63 r° à 65 r°.

[18]Chantelou (Dom. C.), Historia monasterii Sancti Petris Montis Majoris, Ms-162, BMA, p. 717-718.

[19] Chantelou (Dom C.), Historia monasterii Sancti Petris Montis Majoris, Ms-162, BMA, p. 717.

[20] Antoninus Florentinus (Saint), Chronicon, Nuremberg, Anton Koberger, 31-VII-1484, t.II, summarium secundi voluminis, partis historialis, titre XII, chap. V, parag. XI, f°LXXXVIII. Cet ouvrage se trouve à la bibliothèque municipale de Marseille: inc.16 (47058).

[21] Tedeschi (Nicolò), Abbatis panormitani, in Tertium decretalium librum interpretationes, Lyon, apud Sennetonios fratres, 1547, t.VII, vol.V.

[22] Ce bréviaire est conservé à la bibliothèque Méjanes à Aix-en-Provence, Res. D.101.

[23] Bibl. mun. Arles, Ms-526, pièce 85. La date de 1413 qui figure sur cette pièce a été rajoutée postérieurement et est d'une écriture XIXème s. Elle n'est pas confirmée par le texte. Bien que le format de cette pièce ainsi que l'écriture semble correspondre à un registre notarial du XVème s., rien ne permet actuellement de la situer plus précisément.

[24] AD13, 2H97.

[25] AD13, 2H111.

 

 

St-Antoine de Montmajour Enseigne de Saint-Antoine de Montmajour

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